Une revue scientifique vient de publier une étude démontrant que les enfants élevés dans une famille religieuse sont moins altruistes que ceux élevés dans une famille athée. Voyons voir comment la presse a traité le sujet. J'ai choisi deux journaux : Pourquoi docteur, dont le nom laisse supposer une certaine objectivité scientifique, et La croix, dont le lectorat est directement incriminé par l'étude.
Pourquoi docteur nous rapporte le protocole expérimental : taille de l'échantillon, âge des enfants, pays d'origine, liste des religions concernée, ainsi que le test effectué sur chaque individu. Le résultat rapporté est que les enfants d'athées sont plus altruistes. Le journal nous indique ensuite une seconde expérience menée et rapporte que les enfants de familles religieuses sont plus sévères lorsqu'ils doivent estimer la punition d'un autre enfant.
La croix commence par donner des informations sur l'échantillon : taille, âge des enfants, pays d'origine, mais pas la liste des religions. Le journal choisit ensuite de rapporter la seconde expérience et nous indique que l'échantillon a été divisé en trois groupes : athées, chrétiens et musulmans, et que les enfants chrétiens sont plus choqués par les actes de violence mais préconisent le même niveau de punition que les enfants d'athées, alors que les enfants de musulmans demandent des punitions plus élevées, même lorsque le geste violent était involontaire. Vient ensuite la première expérience, où le journal donne les chiffres concernant l'altruisme des "enfants sans religion", des "chrétiens" et des "petits musulmans" (ces derniers ayant un score inférieur aux enfants de chrétiens). Le journal donne ensuite l'explication des auteurs de l'article à ces résultats avant de réfuter la validité de l'étude au motif qu'elle ne tient pas compte de la pauvreté des foyers (sous-entendu, les athées sont plus riches et peuvent plus se permettre de partager ?). Ils reprochent aussi aux chercheurs d'avoir utilisé le taux d'éducation de la mère comme mesure du statut socio-économique.
Ce qui saute aux yeux, c'est d'abord le vocabulaire. Plutôt neutre dans le premier article, le second prend parti dès le titre : "Une étude affirme que les enfants croyants sont moins altruistes que les enfants athées" (mes italiques). Je trouve aussi très intéressante la triade "enfants sans religion", à qui il manque quelque chose, "chrétiens", et "petits musulmans", qui sont... petits, c'est à dire inférieurs.
Par ailleurs, là où le premier article ne fait pas de différence entre les religions, le second prend bien la peine de préciser que les résultats des musulmans sont pires que ceux des chrétiens.
Alors dans ce cas-là, qu'est-ce qu'on fait ? Et bien on va lire l'article ! Ici.
On y apprend qu'en effet, de nombreuses religions sont représentées, comme indiqué par Pourquoi docteur. Le chiffre de l'altruisme est calculé sur deux classes : enfants d'athées et enfants dans des familles religieuses. La conclusion est donc bien indépendante de la religion particulière de la famille des enfants.
Pour aller plus loin dans les statistiques, les chercheurs n'ont conservé que trois classes : athées, chrétiens et musulmans, car les autres religions n'étaient pas assez représentées pour être statistiquement significatives. Les chiffres de l'altruisme pour les chrétiens et les musulmans sont très nettement inférieurs aux athées et la différence entre les deux religions est non-significative. Il est donc trompeur de les citer sans plus d'explications !
Concernant le second test, sur les punitions, l'étude conclue que les enfants de chrétiens trouvent plus méchantes les maltraitances physiques que les athées et... que les enfants de musulmans les trouvent encore plus méchantes. Les punitions préconisées sont équivalentes pour les deux premières classes et plus sévères pour les enfants de musulmans, mais aucune mention n'est faite de si les fautifs commettaient la violence exprès ou pas. La croix ment. De son côté, Pourquoi docteur généralise trop en omettant de préciser que certaines religions sont désormais en dehors des comptes.
Enfin, de nombreux calculs de corrélation croisée sont effectués sur l'âge (l'étude va dans le même sens que l'état de l'art : plus un enfant est âgé, plus il partage), la catégorie socio-économique (car oui, le niveau d'éducation de la mère indique bel et bien un certain facteur de "richesse") et le pays. Les résultats sont que la religion est bel et bien un facteur de variation indépendant.
Finalement, l'étude montre que les parents chrétiens sont ceux qui estiment au plus haut le sens de la justice de leurs enfants. Peut-être est-ce là l'explication de la mauvaise foi de La croix ?