Je suis écœuré. Pas seulement parce qu'un homme pris d'assaut une école, ce dont personne n'aurait l'idée de relativiser l'horreur, mais je suis écœuré par le traitement qui en est fait.
Tout d'abord, l'ampleur. Il semblerait que l'hypothèse selon laquelle le tueur est le même que celui qui a tué des militaires quelques jours plus tôt soit de plus en plus probable. Cependant, lorsqu'il tuait des militaires, on en parlait beaucoup moins. Ces militaires n'étaient pas en mission et on ne peut pas dire "ils connaissaient les risques". On ne peut donc pas dire non plus qu'ils étaient armés et prêts à se défendre, bref, qu'ils aient été militaires ou pas n'atténue en rien le geste du meurtrier. D'où la question : la vie d'un enfant a-t-elle plus de valeur que celle d'un adulte ? Je ne veux pas répondre à cette question, mais si on s'en tient au taux de remplissage des journaux, il semblerait que les journalistes pensent que oui, et de très loin.
Je suis écœuré aussi par la démesure des moyens employés par la presse pour augmenter l'ampleur du choc. Il ne s'agit pas simplement d'informer le public qu'un homme a tiré sur des enfants en les poursuivant jusque dans leur école. Non. Il s'agit d'un acte antisémite qui vise à frapper tous les juifs du monde ! Jusqu'en Israël ! Oui, sous prétexte que l'école où a eu lieu la fusillade était une école privée juive, nos journalistes très professionnels sont allés jusqu'à interviewer des gens en Israël ! Est-on est allé demander leur avis aux passants en Arabie Saoudite la semaine dernière lorsqu'un homme a tué un vieillard dans une mosquée du Pas-de-Calais ? Est-il prudent d'avancer la thèse antisémite si tôt, et surtout lorsqu'en même temps on évoque un lien avec un autre crime qui n'avait visiblement rien d'antisémite ? Ce n'est pas avec de la prudence qu'on vend de l'espace publicitaire, voyons !
Enfin, je suis profondément dégoûté par l'attitude des candidats à la présidentielle qui, profitant de la détonation médiatique, annoncent la mise en pause de leur campagne pour se donner l'air sympathique et compatissant. Ils mettront à profit cette pause dans leur campagne pour aller serrer les mains de la famille et des amis des victimes et leur promettre qu'ils feront tout leur possible pour que le meurtrier soit puni. Ils ne diront pas aux journalistes du 20h qu'ils sont le candidat le plus sérieux et le plus compétent mais qu'ils sont la personne la plus gentille et attentionnée. Leur volonté d'aider leur prochain de façon totalement désintéressée va même jusqu'à ordonner de pousser le plan vigipirate au niveau écarlate, synonyme que les services secrets ont la preuve que des attentats vont avoir lieu sur le sol français dans les jours qui viennent. Ce niveau n'avais jamais atteint jusqu'à aujourd'hui, même après les attentats du 11 septembre 2001, ni durant les émeutes qui ont brûlé les banlieues en 2005. Quelle émotion de savoir que notre président, qui n'est plus en campagne électorale, est prêt à déployer toute l'ampleur du plan de protection de la sécurité nationale pour venger la mort de trois enfants !
À propos de trois enfants décédés, un avocat célèbre tente d'attirer l'attention des média sur la mort de trois filles qui tentaient, selon lui, d'échapper à un contrôleur ferroviaire. Les mauvaises langues se demanderont si la SNCF a échappé à un assaut du GIGN uniquement parce que ces enfants étaient rroms. Ne soyons pas si soupçonneux. L'utilisation d'armes à feu est beaucoup plus spectaculaire et explique le choix des journalistes de faire leur beurre travail le plus sérieux sur cette affaire. Les candidats sont certes prompts à récupérer une affaire à leur compte dès lors que cela permet d'illustrer positivement leur dogme, mais ils ne se lancent véritablement à fond que lorsque la presse leur a dégoté un filon porteur…
Je souhaite un bon courage à toutes les personnes endeuillées de France qui voient la mort de leurs proche servir les intérêts des partis politiques. Vive la campagne ! Autocratie : 1 — Démocratie : 0.