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7 octobre 2014 2 07 /10 /octobre /2014 14:16

Un député, Julien Aubert, vient d'être condamné à une retenue d'un quart de son indemnité parlementaire durant un mois pour avoir usé des titres "Madame le président" et "Madame le ministre" en s'adressant à des femmes.

 

Il y a 30 ans de cela, le gouvernement français lançait une mission visant à étudier la création nouveaux mots désignant des titres, fonctions et métiers lorsqu'ils sont appliqués à une femme. L'Académie Française ne fut pas associée à ce projet et émis une première mise en garde contre une agression très probable de la langue française.

 

En 1998, un autre Premier ministre relance l'affaire dans le but d'obtenir une décision formelle à laquelle on pourrait se référer. L'Institut National de la Langue Française (aujourd'hui l'ATILF, qui a créé le TLFi) est prié de recenser les nouvelles formes "féminisées". Ce dernier publie la liste dans un rapport, indiquant par ailleurs que l'idée n'est pas très bonne et que séparer des termes neutres en deux termes, masculin et féminin, n'est pas réellement de nature à simplifier la vie des gens, ni à inscrire l'égalité des sexes dans les esprits. La liste sera adoptée et l'avis ignoré. L'Académie répète sa position en tentant d'être un peu plus pédagogique cette fois-ci.

 

En fait, la séparation grammaticale en genres masculin et féminin ne va pas de soi. Les langues altaïques en sont toutes dépourvues et la plupart des langues finno-ougriennes n'ont pas de genre non-plus. Le latin et le grec ancien font appel à trois genres, tout comme l'allemand moderne. Le latin et le grec ancien montrent d'ailleurs une variation de forme plus faible entre le masculin et le féminin qu'entre ce deux genres et le neutre, indiquant que les genres sexués sont apparus tardivement. Cela est confirmé par le déchiffrement du hittite (plus ancienne langue indo-européenne connue) qui ne connaît que les genres animé et inanimé. Des traces de cette opposition existent toujours en français : si je parle d'une femme je parle d'elle, si je parle d'un homme, je parle de lui, si je parle d'un objet, j'en parle, qu'il s'agisse d'une maison ou d'un stylographe.

 

L'ajout d'un genre permet la création de variations de forme fortement associées à un concept (ex : masculin, féminin). La suppression d'un genre, en français le neutre, brise cette association et d'autant plus en français où les inanimés sont tantôt masculins, tantôt féminins. L'Académie Française propose d'ailleurs de parler de genres marqué (celui qui, entre autres, impose d'ajouter un "e" à la fin des adjectifs) et non-marqué.

 

En français, on a donc un genre non-marqué qui, comme son nom le laisse supposer, n'indique rien de particulier et un genre marqué qui n'est utilisé que pour le féminin. Toutefois, le féminin n'est pas nécessairement marqué ! Par exemple, lorsque des éléments masculins et féminins sont mélangés, on utilise le genre non-marqué. Des féministes et les bien-pensants disent que le français est macho parce que le féminin s'efface face au masculin. L'Académie Française dit que le genre marqué est discriminatif car il n'accepte jamais les objets masculins (sauf "des amours", osé-je ajouter).

 

La position de l'Académie Française peut paraître très technicienne, voire réactionnaire. Une langue évolue. Des métiers qui étaient réservés aux hommes sont aujourd'hui ouverts aux femmes, il semble logique que la langue épouse cette évolution de la société.

 

Notons tout d'abord que le français est une langue savante : elle a été normalisée dans un souci de respect de l'étymologie et ses règles de grammaire sont complexes et précises. Le choix aurait pu être de simplifier les choses, mais ce ne fut pas le cas. Le français est donc enseigné de façon nécessairement rigoureuse et il véhicule une impression de mastodonte immuable que sa structure plongeant vertigineusement dans notre héritage historique exacerbe. Cela explique la réticence générale à modifier la langue, même parmi les gens qui ne sont pas écrivains ou prof de français. Tant que le choix n'aura pas été fait de créer un nouveau français simplifié, distinct du français contemporain, l'Académie continuera donc à défendre les règles linguistiques sur lesquelles notre langue est fondée (même si je ne lui pardonne pas "épépineur", "butineur" et "bouteur"). Par exemple, "auteure" est une abomination car en français la forme marquée des mots en -eur se termine en -euse ou -rice.

 

Finalement, même si l'Académie Française prône l'utilisation de termes non-marqués, c'est à dire qui ne sont pas porteurs d'une discrimination, elle ajoute régulièrement de nouvelles formes issues de l'usage populaire, même s'il s'agit de "féminisations". La politique de l'Académie est donc que la langue suit ce que le peuple en fait, et pas le contraire comme le voudraient les politiciens bien-pensants.

 

Nous voici donc avec un député condamné pour avoir utilisé la langue française officielle dans ce qu'elle a de meilleur, c'est à dire le refus de différencier un titre selon qu'il est porté par un homme ou une femme. Je suis très choqué que la loi impose aux représentants du peuple et du pays d'utiliser des termes n'appartenant pas au français (ni à aucune autre langue, d'ailleurs) d'autant plus que lesdits termes desservent la cause pour laquelle ils ont été forgés.

 

Le calcul politique et possiblement l'absence d'intérêt pour la question a poussé nos gouvernements successifs à faire enseigner aux jeunes générations "non, c'est pas un président, c'est une présidente parce que c'est une femme". Suivant la piste indiquée par l'Académie (qui ne soutient pas pour autant la proposition suivante), en supprimant le genre marqué nous pourrions apprendre aux enfants "c'est un président et aussi un (sic) femme, mais ça ne fait aucun (sic) différence".

 

Source.

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